Dr Adeline Gaillard, médecin psychiatre.
Quand l’animal soigne : stress, santé et justice – une synthèse scientifique des effets thérapeutiques de la médiation animale
Depuis des millénaires, les animaux accompagnent les humains dans leur quotidien. La médiation animale, ou intervention assistée par l’animal, s’impose aujourd’hui comme une approche complémentaire sérieuse, fondée sur des données scientifiques solides. Elle s’intègre dans des parcours de soins psychiques, somatiques et judiciaires, avec des effets démontrés sur la réduction du stress, l’amélioration des symptômes physiques et psychiques et le soutien émotionnel en situation de vulnérabilité. Cet article propose une synthèse détaillée de ses effets biologiques, psychologiques et pratiques, avec des références validées par des revues à comité de lecture.
1. Physiologie du stress et effets neurobiologiques de l’interaction homme-animal
Le stress est une réponse adaptative de l’organisme à une menace réelle ou perçue. Cette réaction physiologique permet de mobiliser rapidement les ressources nécessaires à la survie.
Elle repose principalement sur deux axes : le système nerveux autonome (voie rapide) et l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS, voie hormonale plus lente).
- Le système nerveux autonome : en quelques secondes, l’amygdale et l’hypothalamus activent le système nerveux sympathique, entrainant la sécrétion rapide d’adrénaline et de noradrénaline par les médullosurrénales. Ces hormones augmentent la vigilance, la fréquence cardiaque, la pression artérielle et libèrent le glucose pour alimenter les muscles. C’est la réponse « fuite ou combat ».
- L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) : En parallèle, l’hypothalamus libère de la CRH (Corticotropin Releasing Hormone) qui va stimuler l’hypophyse qui secrète alors de l’ACTH, laquelle entraîne à son tour la libération de cortisol par les glandes surrénales. Le cortisol, hormone clé de l’adaptation au stress prolongé, permet de maintenir l’énergie disponible, mais sa sécrétion persistante altère l’immunité, la mémoire, le sommeil et augmente le risque de maladies cardiovasculaires.
La médiation animale module favorablement cette réponse de stress :
- La libération d’ocytocine, favorisée par les interactions affectives avec un animal, régule l’axe HHS, diminue le cortisol et inhibe l’amygdale, réduisant la peur et l’hypervigilance [1][2].
- L’activation du système parasympathique via le nerf vague permet une régulation du système nerveux autonome entrainant un ralentissement du rythme cardiaque, une baisse de la pression artérielle et une meilleure variabilité cardiaque [2][6]
- Une réduction de la réponse inflammatoire a été observée chez des personnes en interaction régulière avec des animaux, via la diminution des cytokines pro-inflammatoires comme l’IL-6 et la CRP [1][2].
Chez les vétérans atteints de Syndrome de Stress Post traumatique, l’introduction d’un chien de service est associée à une baisse du cortisol salivaire au réveil et à une amélioration de la récupération physiologique après stress [3][5] avec des bénéfices sur le sommeil, l’humeur, la cognition et l’immunité.
2. Applications en psychiatrie
Une méta-analyse publiée dans BMC Psychiatry en 2018 montre que les interventions assistées par l’animal sont associées à une réduction significative des symptômes dépressifs et anxieux, notamment chez les enfants, les personnes âgées et les patients hospitalisés [12]. Chez les personnes souffrant de troubles psychiques, le contact avec un animal peut restaurer un sentiment de sécurité, de compétence et de lien affectif. L’animal, par sa présence constante, non jugeante et réceptive, facilite l’expression émotionnelle et favorise la régulation du stress. Ainsi, de nombreuses publications soutiennent l’intérêt de la médiation animale dans les pathologies mentales notamment
- Dans les troubles du spectre autistique, l’équithérapie et les interactions avec les chiens améliorent la régulation émotionnelle, la communication non verbale et diminuent les comportements stéréotypés. [7][10].
- En cas de dépression ou d’anxiété généralisée, la présence animale augmente l’engagement, stimule la dopamine et structure le quotidien. Elle soutient les processus de mentalisation et de réassurance [1][8].
- Chez les personnes schizophrènes ou bipolaires, l’animal facilite l’expression, réduit les symptômes négatifs comme le retrait ou l’apragmatisme, et améliore les compétences sociales [8].
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) mérite une attention particulière. Il affecte les personnes exposées à des situations de menace ou d’agression, provoquant des symptômes d’hypervigilance, de reviviscence (cauchemars, flashbacks), d’évitement, et une activation neurovégétative chronique. Les chiens d’assistance spécifiquement formés pour ces situations peuvent détecter les signes de détresse imminente, intervenir par le contact physique, et rappeler à la réalité sensorielle. L’animal crée un espace sécurisant, favorisant le retour au calme et la réintégration dans des environnements perçus comme menaçants. Plusieurs essais randomisés menés auprès de vétérans américains montrent une baisse significative du score CAPS (Clinician-Administered PTSD Scale), une amélioration du sommeil et une réduction de la prise médicamenteuse [3][4][5]. Ces effets sont aussi rapportés chez des civils victimes de violences, notamment les femmes victimes de violences conjugales.
3. Médiation animale en médecine somatique : un levier pour la réadaptation et la douleur
Au-delà du soin psychique, la médiation animale trouve sa place dans des contextes médicaux variés :
- En soins palliatifs, la présence d’un animal réduit la douleur perçue et le besoin en antalgiques. L’animal agit comme distracteur sensoriel et émotionnel [2][9].
- En rééducation fonctionnelle, l’animal stimule l’initiative motrice, améliore la posture, et favorise l’implication active du patient.
- Chez les patients atteints de pathologies cardiovasculaires, la présence d’un animal est associée à une baisse de la tension artérielle, de la fréquence cardiaque et une meilleure récupération post-infarctus [6].
- En gériatrie, l’animal stimule les fonctions cognitives, diminue l’agressivité dans les troubles neurocognitifs majeurs et restaure du lien social [9].
La médiation animale offre ainsi un soutien complémentaire, non médicamenteux, à des prises en charge souvent complexes. Elle agit à la fois sur le plan émotionnel, relationnel et biologique, en renforçant la capacité du sujet à faire face à ses symptômes.
4. Soutien émotionnel et médiation animale en justice
La procédure judiciaire est une expérience particulièrement stressante. Elle confronte les individus à des environnements formels, des rappels traumatiques, l’incompréhension des enjeux juridiques ou la peur du jugement. Les personnes concernées sont souvent en position de vulnérabilité – qu’elles soient victimes, témoins, mis en cause ou justiciables ordinaires. Ce contexte active de manière intense les circuits du stress (amygdale, axe HHS), pouvant entraîner mutisme, agitation, crises de panique, voire dissociation. Ce stress peut aussi nuire à la qualité des témoignages, altérer la mémoire et aggraver des troubles déjà présents et complexifier davantage le parcours.
La médiation animale a montré son intérêt dans ces situations à plusieurs niveaux :
- Chez les mineurs victimes, le chien de soutien diminue l’anxiété, augmente la confiance perçue et facilite l’expression libre dans le cadre des auditions [11].
- Chez les adultes exposés à un traumatisme, la présence animale atténue les symptômes de réactivité (hypervigilance, tachycardie), renforce l’ancrage corporel et améliore le vécu subjectif du passage devant les autorités [4].
- Chez les justiciables en général, y compris les personnes non-victimes mais impliquées dans des affaires conflictuelles (divorces, expulsions, litiges pénaux), l’animal crée un espace tampon émotionnel. Il réduit la probabilité de réactions de défense excessives, d’agressivité ou d’effondrement émotionnel, et facilite les échanges verbaux.
- Dans les établissements pénitentiaires ou éducatifs, l’animal facilite la gestion des émotions, le respect des règles, et restaure des capacités relationnelles chez les personnes privées de liberté [8].
- Les professionnels du système judiciaire (magistrats, avocats, policiers, travailleurs sociaux) exposés de manière répétée à des récits traumatiques, peuvent aussi bénéficier ponctuellement d’interventions avec des animaux dans des programmes de prévention du burn-out ou de gestion de la charge émotionnelle (fatigue compassionnelle).
La médiation animale agit ainsi comme un facteur de sécurité affective, essentiel dans un contexte où la parole est contrainte et le stress élevé.
En conclusion, la médiation animale ne remplace aucunement les approches pharmacologiques ou psychothérapeutiques classiques. Elle s’inscrit dans une approche intégrative, et suppose un cadre clair. Elle repose sur des bases biologiques et comportementales robustes. Elle enrichit les pratiques cliniques en favorisant la sécurité affective, la motivation, la régulation émotionnelle et la plasticité psychique. Son efficacité est confirmée par de nombreuses publications scientifiques, rendant légitime son intégration dans les prises en charge des publics fragiles.
Références
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